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Sans chercher spécifiquement à appliquer la notion d'interopérabilité à mon travail, j'ai pris parti de la possibilité de me servir de cette hypothèse comme méthode et matière à penser.

Du fait de la nature des objets physiques et sujets humains avec lesquels je travaillais pour « Urzeli », il m'est apparu intéressant de développer

le rapport utile entre objet et humain. Il y a un rapport utilitaire entre les housses et ceux qui s'assoient dessus, entre le couvre-lit et ceux qui dînent dessus, entre un objet de contrebande et ceux qui s'essuient avec.

 

En partant de ces réflexions, j'ai pu remettre en perspective l'idée de triangle narratif, concept que j'essaye de décliner en fonction des propositions. Je me sers  d'un schéma simple en forme de triangle pour organiser les relations narratives qui existent dans différents contextes rencontrés au fil

du temps. Ce schéma implique les éléments basiques de tout script : un humain, un lieu et un objet. A défaut d'être une composition d'image,

cette pensée accompagne mes actions, qu'elle soit visible ou non dans les résultats de ces dernières. Elle est pour moi, l’amorce à la notion d'épisodique.

A travers le vécu avec Roza, j'ai pu me rendre compte d'un fait essentiel tenant de l'épisodique.

Dans la série Dallas (1976-1991), le départ de l'acteur Jim Davis, qui disparaît en 1981, modifie le script, sans que la série ne s'arrête. Son personnage, Jock Ewing, subira un mystérieux accident d'hélicoptère. La décision des scénaristes de laisser les faits réels avoir une influence sur le scénario,

se démarque du montage entrepris par Christopher Nolan suite au départ de Heath Ledger (The Dark Knight, 2008). A l'opposé de « Dallas »,

« The Dark Knight » aura gardé l'immortalité du personnage, faisant une césure avec la réalité corporelle de l'acteur. L'interopérabilité m'apparaît alors

à travers ce point d'impact entre « la vie réelle » et « la vie racontée ». Je positionne ainsi « la vie réelle » du côté des humains qui interagissent avec moi lorsque je développe mes propositions artistiques.  Ils sont le facteur de négociation qui viendra modifier la « vie racontée ». Dans ce sens,

on pourrait placer « la vie racontée » du côté des objets  de mon triangle, car ces objets sont les témoins silencieux des ce qu'on en fait, ils en relatent les faits en quelque sorte ; cependant c'est un détail à mon argumentation. Il y a pour moi, un point d'impact entre intention et réalité lorsqu'on place l'art en-dehors de son espace mental et physique dédié (celui du milieu culturel). Ce point d'impact entre l'intention et la réalité m'a donné envie de tester l'élasticité des cadres habituels et de regarder ma pratique depuis une perspective moins déterminée.

Certes est que l'épisodique peut exister à l'image de la série écrite par Ray Bradburry (The Twilight Zone, 1959-1964), où chaque diffusion est

une courte nouvelle, le tout étant composé d'éléments sans lien narratif. Dans le cas d'un épisodique continu, le passage du temps gagne alors

en incidence sur l'univers construit par les scénaristes. Le temps était un point manquant à mes triangles narratifs. Or, lorsque le temps lie plusieurs épisodes dans l'espace, la relativité humaine vient brouiller ce qui auparavant était clair, clairement défini comme étant œuvre dans un espace imparti aux œuvres. Cette manière de concevoir une pratique artistique vient bousculer le statut des œuvres exposées dans « Back to where

it all began » (Gaep, Bucarest, Roumanie). Le temps brouille aussi le moment d'achèvement d'une action, il amène une promesse de suite à l'épisode précédent. Par là, il transforme une proposition qui était simplement matérielle en phénomène possiblement vivant.

 

Au terme de mes expérimentations, j'en viens donc à apporter une réponse pour moi-même à la problématique de l'interopérabilité, qui tient

du domaine du phénomène.

CNRTL :
I.

A.− PHILOS. et lang. des sc.

[...]
2.« Ce que l'on observe ou constate par l'expérience et qui est susceptible de se répéter ou d'être reproduit et d'acquérir une valeur objective, universelle. »

 

Avant qu'une chose soit finie et catégorisée, elle est un phénomène en lien avec d'autres phénomènes, dans une indistinction qui reflète une interconnexion commode et cohérente. Les phénomènes, ou faits si on préfère, sont les causes et conséquence les uns des autres avant qu'aucune observation vienne les nommer. Pour moi, ils sont indistincts car ils échappent à une hiérarchisation posthume, étant en mouvement. En cela, l'indistinction des phénomènes me donne la possibilité de concevoir ce que je fais dans une logique relativement humaine, imparfaite et sujette

aux changements. Pour conclure enfin, j'imagine que le phénomène se lie aux actes, cependant il n'y a pas d'acte humain qui ne puisse être fait sans les mains. « La main de l'homme est l'outil des outils » (Aristote), c'est pourquoi je reste attachée à ce que font les mains : voler

des serviettes, tisser des couvre-lits, ou disparaître. « L'esprit humain opère avec des petites quantités d'information, il ne cherche pas à déduire

des corrélations brutes entre les points de data, mais à créer des explications » (Noam Chomsky, « The False Promise of ChatGPT »*,

sur les intelligences artificielles qui ne savent pas générer des mains).


*https://www.nytimes.com/2023/03/08/opinion/noam-chomsky-chatgpt-ai.html
article cité dans « The Uncanny Failures of A.I.-Generated Hands », 10/03/2023, Kyle Chayka, NewYorker, https://www.newyorker.com/culture/rabbit-holes/the-uncanny-failures-of-ai-generated-hands

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