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Les échanges

Tanti Roza avec son mari et son petit fils, village de Ploscuteni, Roumanie, 20/11/2022

Photos de deux des tisserandes inclues dans la proposition uʁzəli (2021-2023)

Tanti Florica, village de Mirosi, Roumanie, 29/01/2023

En Mars 2021 a commencé de manière incertaine une initiative intitulée Urzeli (chaînes).

Elle s'est instinctivement développée autour de la disparition du tissage traditionnel Roumain, « chaînes » désignant les fils d'un métier à tisser. La démarche s'est appuyée sur le double-sens du mot, qui en Roumain signifie aussi « destin ». Rapidement,

le vécu des tisserandes avec lesquelles j'échangeais a pris une ampleur supérieure

aux objets tissés. Leurs tissages sont devenus le lieu de convergence de leurs

« chaînes », le produit de ces dernières, mais aussi l'incarnation de nos dialogues.

Objet documentaire « La Passation », captation de la première diffusion sur téléviseur cathodique à partir de DVD gravé, 07'40'', mp4, La Générale (Paris 14e)

Maquette papier de l'édition « Celleux qui tissent », 56 pages, papier machine 90g, couverture papier 220g et tissu en lin et laine, 11x18 cm

Version numérique de l'édition

« Celleux qui tissaient », 39 pages, PDF

                                          Mon intérêt pour la passation orale, seule manière pour elles acceptable de communiquer                                          un savoir, a été réveillé sous le prétexte d'un apprentissage technique qui aura servi à créer des liens

                  de confiance. J'ai pris appui sur une implication économique de ma part, participant ainsi au soutien partiel

              de leur pratique plus ou moins amatrice, pour recueillir des récits. Consciente de l'omniprésence d'une inéluctabilité

           des situations, due à l'âge des femmes, à l'approche de leur disparition coïncidant avec la disparition de la pratique,

j'ai documenté les interactions.

Au terme de deux ans passés à infiltrer des communautés fermées de la campagne Roumaine, j'ai constitué un corpus de leurs tissages, de leurs mots et de photos envoyées par elles ou que j'ai pris à leur demande. Leurs mots ont, pour la plupart,

été enregistrés par le billais d'une go-pro amateur tournant à vide avec des cadrages non-définis. L'espace-temps d'Urzeli englobe ainsi des séries de tissages et d'objets documentaires vidéo et papier. Je me base sur cette documentation pour tenter

de perpétuer la transmission, dans l'intention d'aller au-delà de l'objet fini. Ceci est donc ma seconde proposition de réponse

à la problématique de l'interopérabilité. En prenant en compte toutes ces réflexions et expériences, la décision a été prise de créer des situations qui permettent aux objets d'être transmis de manière pérenne, au-delà du temps imparti aux « chaînes » (destin/vécu) de celles qui les ont tissé.

La cène de Roza

La coïncidence entre vie réelle et art soumet ma proposition à l'inéluctabilité évoquée plus haut.

Happening à La Générale (14e Paris, France) en collaboration avec Table Pirate (Benedicte Farago)

Clic-clac, couvre-lit, radis rôtis au piment de Cayenne, chips d'épinards, houmous de bettraves, riz au curcuma, oignons rouges et œufs durs, marbré au fromage blanc et lemon curd, pain pita au yaourt, 10 participants, 28/04/2023

Couvre-lit donné par Tanti Roza dans son habitat naturel en milieu domestique

Tissage en lin, 200 x 170 cm, fait aux alentours de 1970-1980 (Ploscuteni, Roumanie)

En mars 2023, Tanti Roza, qui a contribué à Urzeli avec deux tissages et une conversation, est morte. Sa disparition, la disparition de sa pratique,

ont été l'occasion pour moi de mettre en place une première situation de transmission. A l'occasion de ma résidence de création à La Générale (Paris, 14e, France), deux de ses tissages ont pu perpétuer les récits de Roza. Sortis de leur habitat naturel domestique, les deux couvre-lits faits-main

ont été réemployés comme moyens de soutien au lieu culturel, plus particulièrement à la vie des personnes le fréquentant.

Aperçu du repas mis en place sur le couvre-lit étendu sur clic-clac, Vidéo documentaire, 07'10'', mp4

Repas avant consommation, 28/04/2023, 19h03

La seconde opportunité de perpétuation pour transformer les objets en moyens de soutien survient toujours à La Générale et se base sur le tissage restant

de Tanti Roza, ainsi que sur les pièces achetées à Simona Precup.

Dons permanents

Le premier moyen de soutien a été de transformer un de ses couvre-lits en nappe de table pour un repas qui lui a été dédié. La date

du 28/04/2023 a coïncidé avec les 40 jours suivant la disparition, délai au terme duquel la famille organise un banquet collectif avec

la communauté. L'événement a été conçu tel un happening qui puisse suivre une coutume sincère.. Regardé sous un double prisme, ce repas

sur clic-clac cuisiné par Table Pirate est à la fois une « performance » et un événement commémoratif. Il s'efforce de garder  la fonction première

du tissage sur lequel il est disposé. Ainsi il capte des comportements non-orchestrés et se déroule de manière désintéressée.

On retrouvait ainsi dans le descriptif de l'action, imprimé au dos du menu, les mots « offrande » et « rituel ».

Couvre-lit donné par Tanti Roza dans son habitat naturel en milieu domestique

Tissage en lin, 200 x 170 cm, fait aux alentours de 1970-1980 (Ploscuteni, Roumanie)

« On leur a dit non.... », tissage de Tanti Roza modifié avec laine, coton, colle à bois, rajouts de tissage en coton par Merceria Iilor (« l'atelier de la blouse roumaine » basé à Bucarest, Roumanie), 300 x 250 cm, avril 2023

Simona Precup, fondatrice de l'entreprise de tissage manuel Merceria Iilor (L'atelier de la blouse Roumaine, Bucarest, Roumanie), a contribué à ma proposition avec 9 tissages,

2 factures et 7 conversations. La coïncidence avec la réalité

de sa disparition est amenée  par le contexte industriel

d'une pénurie de fil de lin, qui met en péril son commerce.

Les toiles qu'elle tisse, elles, n'ont  pas d'habitat prédéfini mais sont vouées à la confection d'objets textiles qui s'inscrivent dans la même situation d'utilisation domestique

que les couvre-lits de Roza.

Avec le soucis de garder la fonction première des textiles,

les productions ont été réinvesties à l'usage de l'espace culturel et sont devenus des dons permanents. Le don est constitué d'une housse pour canapé et de deux housses pour chaises. Ces housses contiennent des bribes de conversations faisant état de l'achèvement passé ou futur du tissage/destin. « Ils ont tout pris... » annonce une fin ayant précédé la fin réelle.

La phrase rend compte du fait que Roza avait cessé de tisser bien avant son départ. La perte de sa maison lors

de la collectivisation des terres sous le régime communiste totalitaire a aussi été la perte de son métier.

Les housses ont ici le double rôle d'objets résultant d'une pratique artistique et d'objets utilitaires, à durée indéterminée.

Aperçu des trois pièces utilitaires laissées à l'usage de La Générale

Housse de chaise 1, tissages en laine et lin par Merceria Iilor (« l'atelier de la blouse roumaine » basé à Bucarest, Roumanie), broderie en laine, dimensions variables,

avril 2023

Détail du texte brodé sur la housse de chaise 1 : « Personne ne nous l'a appris, chacun son secret »

Housse de chaise 2, tissages en lin et coton faits par Merceria Iilor (« l'atelier de la blouse roumaine » basé à Bucarest, Roumanie), broderie en laine, dimensions variables, avril 2023

Détail du texte brodé sur la housse de chaise 2 :

« Personne ne nous l'a appris, chacun son secret »

Texte brodé et touffeté sur « On leur a dit non », extrait de l'édition « Celleux qui tissent » :

« On leur a dit non, ils ont tout pris et nous ont chassé », « On volait les motifs des autres, ça faisait des jalouses »

Détail du texte brodé sur la housse de chaise 2 : « Lorsqu'on tisse le lin, la couleur est crème, jamais blanche », « Nous faisons face à une pénurie de fils de lin »

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