
Les pièces exposées à l'occasion de « Croisures et souvenances » ont été entièrement conçues dans le village de MiroÈ™i, région d'ArgeÈ™ au sud de la Roumanie. Les six éléments qui constituent les installations textiles, utilisent des objets décoratifs du quotidien paysan de la région. Avec la technique du tuftage (« touffe », terme anglais désignant une manière de fabriquer des tapis), l'artiste s'approprie des carpettes et couvre-lits confectionnés à la main. Grâce au soutien de la tisserande Florica et de la famille Negoiță, ces canevas de motifs aux couleurs saturées deviennent des dossiers primaires, capables d'accueillir des formes nouvelles. Altérés par cette intervention, les objets utilitaires perdent leur rôle ornemental et se retrouvent éloignés des maisons qui les accueillaient. Leur est ainsi offerte une seconde vie, afin que les étoffes puissent témoigner de la disparition des pratiques artisanales roumaines, dont la production symbolisait l'individualité de la culture traditionnelle. Sur les trois tisserandes ayant confectionné les couvre-lits, deux d'entre elles se sont éteintes sans passer le savoir aux descendants de la famille.
La cosmogonie du motif traditionnel roumain a été le sujet de la littérature ethnologique dès la fin du XIXe siècle. Partagé entre formes abstraites, anthropomorphes, zoomorphes, cosmiques ou géométriques, le motif symbolisait le statut et la fonction sociale, l'endroit de la naissance, l'âge... Suivant la piste des représentations végétales, l'artiste prend le décoratif comme prétexte, pour entamer une réflexion sur la psychologie primitive des symboles naturels. C'est une invitation à un voyage à rebours, où l'imagination matérielle (François Bachelard) questionne la perception des formes. Est-ce une flamme, une vague, ou
simplement l'écoulement du temps, que l'on perçoit si évasivement à travers la forme ?

